Le congé de conversion, un secret (trop) bien gardé des PME
Dans beaucoup de PME, on parle facilement de trésorerie, de prospection ou de relocalisation. Mais dès qu’il s’agit de reconversion professionnelle, c’est souvent plus flou. Licenciements économiques, salariés en perte de vitesse, métiers qui disparaissent… On gère au cas par cas, avec plus ou moins de méthode.
Le congé de conversion fait partie de ces outils sous-utilisés, alors qu’il peut transformer une situation de crise en opportunité pour le salarié et pour l’entreprise. Ni gadget RH ni usine à gaz, c’est un vrai levier pour professionnaliser la gestion des transitions.
Tour d’horizon, version « terrain », pour les dirigeants et RH de PME qui n’ont pas le temps de lire 80 pages de Code du travail.
Congé de conversion : de quoi parle-t-on exactement ?
Le congé de conversion est un dispositif qui permet à un salarié de bénéficier d’un temps dédié, rémunéré, pour préparer une nouvelle orientation professionnelle lorsque son poste est menacé ou supprimé.
Concrètement, il s’agit d’une période pendant laquelle le salarié :
- est dispensé (en tout ou partie) d’activité dans l’entreprise ;
- bénéficie d’un accompagnement pour définir un projet professionnel réaliste ;
- peut suivre des formations, bilans de compétences, actions de validation d’acquis ;
- prépare une reconversion interne (changement de poste) ou externe (nouvel employeur, création d’entreprise, etc.).
Son objectif est clair : éviter la « chute dans le vide » après un licenciement et transformer une fin de poste en rebond structuré.
Pour les PME, c’est aussi un outil pour :
- sécuriser des réorganisations sensibles ;
- limiter le risque social (conflits, contentieux, absentéisme) ;
- garder une image d’employeur responsable sur un bassin d’emploi souvent restreint ;
- maintenir la motivation des équipes qui restent.
En quoi le congé de conversion se distingue-t-il des autres dispositifs ?
Entre congé de mobilité, congé de reclassement, CPF, PSE, on peut vite s’y perdre. Quelques repères pour ne pas tout mélanger.
- Le congé de mobilité : généralement prévu dans un accord de gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC). Il permet d’anticiper une mobilité interne ou externe. Souvent utilisé dans les grands groupes.
- Le congé de reclassement : encadré par la loi pour les licenciements économiques dans les entreprises d’une certaine taille (au moins 1 000 salariés). Objectif : favoriser le retour rapide à un emploi.
- Le congé de conversion : plus souple, souvent mis en place via des accords d’entreprise ou des accords de branche, avec une logique de reconversion plus globale, parfois plus longue et plus personnalisée.
Pour simplifier : le congé de conversion est un outil « sur-mesure » à insérer dans la boîte à outils de la PME, quand les autres dispositifs sont souvent plus normés ou réservés à de grandes structures.
Pourquoi les PME ont tout intérêt à l’utiliser ?
Dans une grande entreprise, on peut « absorber » un licenciement économique dans la masse. Dans une PME de 20, 50 ou 100 salariés, chaque départ est visible, incarné, commenté. D’où l’importance de la manière dont on gère ces moments.
Le congé de conversion apporte plusieurs bénéfices très concrets :
- Désamorcer les tensions : un salarié qui voit qu’on investit sur sa reconversion est, logiquement, moins en colère, moins dans la rupture. Le climat social reste gérable.
- Limiter l’image « employeur qui jette » : sur certains territoires, une mauvaise réputation met des années à se rattraper. Un dispositif visible, structuré, change la perception des candidats et des partenaires locaux.
- Négocier plus sereinement les départs : le congé de conversion peut être intégré à un accord collectif ou à des accords individuels, avec des mesures complémentaires (formation, accompagnement à la création d’entreprise, etc.).
- Préserver la motivation des équipes restantes : rien de pire que des collaborateurs qui se disent « si je suis le prochain, je serai lâché dans la nature ». Montrer qu’il existe un chemin sécurisé rassure tout le monde.
- Partenariats gagnant-gagnant sur le territoire : en travaillant avec les OPCO, Pôle emploi, les collectivités, la PME peut parfois cofinancer des parcours ou bénéficier de dispositifs d’accompagnement déjà existants.
Comment mettre en place un congé de conversion dans une PME ?
Bonne nouvelle : contrairement à ce que l’on imagine, il n’est pas nécessaire d’avoir un service RH de 10 personnes pour mettre en place un congé de conversion. En revanche, il faut un minimum de méthode.
Étape 1 : définir le cadre avec les représentants du personnel
Si votre entreprise dispose d’un CSE ou de délégués du personnel, le sujet doit être posé clairement :
- dans quels cas le congé de conversion sera proposé (licenciement économique, suppression de poste, inaptitude, etc.) ;
- sa durée maximale ;
- les mesures d’accompagnement (formations éligibles, bilans, coaching, etc.) ;
- les conditions de rémunération pendant le congé ;
- le maintien ou non de certains avantages (mutuelle, tickets-restaurants, etc.).
Un accord d’entreprise, même simple, permet de sécuriser le dispositif et d’éviter de tout renégocier à chaque cas individuel.
Étape 2 : articuler le dispositif avec les outils existants
Le congé de conversion n’a pas vocation à réinventer la roue. Il doit s’articuler avec :
- Le CPF du salarié : permettre, par exemple, d’abonder son compte pour financer une formation plus longue ou plus coûteuse.
- Les financements de l’OPCO : beaucoup de branches prévoient des aides à la reconversion, peu connues des PME.
- Les actions de Pôle emploi : certaines formations ou accompagnements peuvent être prises en charge après la fin du contrat de travail, mais préparés pendant le congé.
L’enjeu est de combiner intelligemment ces briques pour limiter le coût direct pour l’entreprise tout en maximisant l’efficacité du parcours pour le salarié.
Étape 3 : formaliser un parcours type… et accepter le sur-mesure
Un bon congé de conversion, ce n’est ni un chèque en blanc, ni un carcan rigide.
Vous pouvez définir :
- un socle commun : bilan de compétences, accompagnement à la recherche d’emploi, ateliers CV/entretien, etc. ;
- puis des modules à la carte : formation métier, accompagnement à la création d’entreprise, validation des acquis de l’expérience (VAE), etc.
Le parcours doit rester réaliste : passer de comptable à développeur IA en 6 semaines n’est pas très crédible. En revanche, aider un technicien de production à se reconvertir vers la maintenance, la qualité ou la logistique est souvent pertinent.
Le point de vue salarié : un sas sécurisé pour changer de cap
Du côté du salarié, le congé de conversion change tout. Au lieu d’enchaîner :
- annonce du licenciement ;
- préavis souvent vécu dans la tension ;
- inscription à Pôle emploi ;
- angoisse du « et maintenant, je fais quoi ? » ;
il bénéficie d’un sas sécurisé pour :
- digérer la nouvelle ;
- faire le point sur ses compétences réelles (pas seulement son intitulé de poste) ;
- se confronter à la réalité du marché (et pas aux fantasmes de reconversion vus sur les réseaux sociaux) ;
- tester des pistes : formations courtes, immersions, entretiens réseaux.
Psychologiquement, ce n’est pas anodin. Un salarié qui part avec un projet construit, un CV à jour et quelques pistes sérieuses n’a pas le même niveau de stress qu’un salarié livré à lui-même.
Exemple concret : quand un départ forcé devient un tremplin
Imaginons une PME industrielle de 60 salariés, en périphérie d’une ville moyenne. La baisse de commandes impose la suppression de deux postes à l’atelier. Parmi eux, Jean, 45 ans, 20 ans d’ancienneté, très apprécié, mais sur un poste dont la charge s’effondre.
Scénario classique sans dispositif :
- licenciement économique ;
- préavis tendu, sentiment d’injustice ;
- départ avec indemnités, inscription à Pôle emploi ;
- perte de repères, difficulté à se projeter, surtout à 45 ans dans une région déjà touchée par le chômage.
Scénario avec congé de conversion :
- l’entreprise propose un congé de conversion de 6 mois à Jean, avec maintien d’une grande partie de sa rémunération ;
- un bilan de compétences montre qu’il a un bon potentiel pour un poste de technicien de maintenance ;
- l’OPCO finance une formation qualifiante courte, complétée par une période d’immersion dans une autre PME de la zone industrielle ;
- au bout de 5 mois, cette PME propose un CDI à Jean.
Résultat :
- Jean retrouve un emploi qualifié, avec une perspective d’évolution ;
- l’entreprise d’origine limite l’impact social de sa réorganisation et renforce sa réputation sur le territoire ;
- la PME d’accueil recrute un profil fiable et déjà formé.
Bien sûr, tout ne se passe pas toujours aussi idéalement. Mais sans dispositif, ce type de scénario a beaucoup moins de chances de se produire.
Les questions que se posent (à juste titre) les dirigeants de PME
« C’est beau sur le papier, mais combien ça coûte ? »
Le coût dépend :
- de la durée du congé ;
- du niveau de rémunération maintenu ;
- de la part de financement obtenue via l’OPCO ou d’autres acteurs ;
- du nombre de salariés concernés.
Mais en face de ce coût, il faut mettre :
- le coût d’un contentieux prud’homal ;
- le coût indirect d’un climat social dégradé ;
- le coût d’une mauvaise image employeur sur un marché de l’emploi déjà tendu.
Dans une logique globale de gestion des risques, le congé de conversion est souvent un investissement plus qu’une charge.
« Je n’ai pas les ressources internes pour piloter ça. »
C’est précisément là qu’il faut s’appuyer sur l’écosystème :
- OPCO de branche pour le conseil et le cofinancement ;
- Cabinets spécialisés en outplacement ou transition professionnelle ;
- Partenaires institutionnels (Pôle emploi, Région, etc.).
Le rôle de la PME n’est pas de tout faire en interne, mais de piloter et de choisir les bons partenaires.
« Et si le salarié en profite pour partir créer son entreprise ? »
Et pourquoi pas ? Beaucoup de territoires manquent de repreneurs et de créateurs. Accompagner un salarié vers la création ou la reprise d’une activité, c’est parfois un moyen :
- de construire un futur fournisseur ou partenaire ;
- de renforcer le tissu économique local dont dépend aussi votre PME ;
- de transformer un ex-salarié potentiellement amer en ambassadeur de votre marque employeur.
Bonnes pratiques pour un congé de conversion efficace
Quelques principes simples, mais souvent oubliés sur le terrain :
- Parler tôt : plus l’information arrive en amont, plus le salarié a le temps de se projeter. Annoncer un congé de conversion au dernier moment limite son impact.
- Être transparent : expliquer clairement ce qui est possible, ce qui ne l’est pas, les limites budgétaires, les délais. Les incompréhensions créent de la frustration.
- Impliquer le salarié comme acteur : un congé de conversion n’est pas un « cadeau » à consommer passivement. Le salarié doit être partie prenante de la définition de son projet et de ses actions.
- Mesurer les résultats : combien de personnes ont retrouvé un emploi ? En combien de temps ? Dans quel type de poste ? Ces données permettent d’ajuster le dispositif.
- Capitaliser en interne : retour d’expérience, amélioration des accords, meilleure articulation avec la GPEC et les entretiens professionnels, etc.
Et si le congé de conversion devenait un outil stratégique de gestion des compétences ?
On associe souvent le congé de conversion à la « fin de l’histoire » pour un salarié dans une entreprise. C’est une vision limitée.
Utilisé intelligemment, il peut aussi :
- nourrir la réflexion sur les métiers en tension et les compétences dont la PME aura besoin demain ;
- alimenter les plans de formation internes, en observant les reconversions qui fonctionnent le mieux ;
- renforcer le dialogue social autour des transitions professionnelles, au-delà des seules périodes de crise.
Dans un contexte où les métiers évoluent vite, où certains postes disparaissent pendant que d’autres peinent à recruter, savoir accompagner proprement les transitions n’est plus un « luxe social ». C’est un élément de compétitivité.
Un levier de responsabilité sociale… et de performance
Pour une PME, se doter d’un congé de conversion, c’est envoyer un message clair :
- oui, l’entreprise peut traverser des turbulences ;
- oui, des postes peuvent disparaître ;
- mais non, les salariés ne seront pas laissés seuls face au vide.
Dans un marché de l’emploi de plus en plus tendu, où l’attraction et la fidélisation des talents deviennent des sujets stratégiques, cette promesse compte. Beaucoup.
Le congé de conversion n’est pas une baguette magique. Il ne remplace ni une stratégie RH, ni une politique de formation structurée. Mais pour les PME qui acceptent de s’en emparer, il peut faire la différence entre une réorganisation subie et une transformation assumée.
