Dans beaucoup de PME, les achats ressemblent encore à un inventaire à la Prévert : mails éparpillés, fichiers Excel aux quatre coins du réseau, validations à la volée dans le couloir, et factures retrouvées « par hasard » avant la clôture comptable. Tant que l’activité tourne, on s’en accommode… jusqu’au jour où la trésorerie se tend, où un fournisseur clé fait défaut, ou où une erreur de commande coûte plusieurs milliers d’euros.
C’est là que la digitalisation des achats devient un levier très concret de performance et d’économies. Pas un gadget, pas un « truc de grands groupes », mais un vrai outil pour reprendre la main sur les dépenses, le temps et la qualité.
Pourquoi la digitalisation des achats est un enjeu majeur pour une PME
Pour une PME, chaque euro compte. Mais entre ce qui est négocié, ce qui est réellement dépensé et ce qui est payé… il y a souvent un gouffre. Sans outil structuré, les achats souffrent généralement de trois maux :
1. Manque de visibilité
Difficile de répondre simplement à des questions basiques :
- Combien dépensons-nous par fournisseur ?
- Qui a le droit de commander quoi ?
- Sur quelles familles de dépenses pourrions-nous renégocier ?
Les données existent, mais elles sont éparpillées et exploitées trop tard, souvent lors du bilan… quand plus rien ne peut être optimisé sur l’exercice.
2. Processus chronophages et risqués
Les allers-retours pour valider une commande, les erreurs de saisie, les doublons, les factures égarées : tout cela consomme un temps colossal pour un résultat aléatoire.
Chaque étape manuelle est une porte ouverte :
- À l’erreur (mauvais prix, mauvaise référence, mauvaise quantité)
- À la fraude (fausse facture, fournisseur douteux)
- Aux tensions internes (« Qui a validé cette dépense ? »)
3. Un rôle des achats sous-exploité
Dans les PME, les achats sont souvent vus comme une fonction « support » qui passe des commandes. En réalité, c’est un poste clé de création de valeur :
- Réduction durable des coûts
- Sécurisation des approvisionnements
- Amélioration de la qualité des produits / services achetés
- Impact environnemental (choix des fournisseurs, circuits courts, etc.)
La digitalisation permet de donner aux achats un véritable tableau de bord, plutôt qu’un carnet de chèques.
Ce que recouvre concrètement la digitalisation des achats
Digitaliser les achats, ce n’est pas juste mettre un formulaire en ligne. C’est structurer de bout en bout le cycle achat-facture-paiement. En général, cela couvre :
- Les demandes d’achats : standardiser la façon dont un collaborateur exprime un besoin (produit, service, budget, centre de coûts, etc.).
- Les commandes : générer des bons de commande clairs, traçables, validés selon des règles prédéfinies.
- La relation fournisseur : base fournisseurs centralisée, contrats, conditions négociées, historiques.
- La réception : validation de la conformité (quantité, qualité, délai) par rapport à la commande.
- La facture : rapprochement automatique commande / réception / facture, puis intégration en comptabilité.
- Le pilotage : extraction et analyse des données par fournisseur, famille d’achats, service interne, etc.
Cela passe en général par un logiciel (ou un module) dédié aux achats, souvent connecté à votre logiciel comptable ou à votre ERP.
Les principaux leviers de performance pour une PME
Un projet de digitalisation des achats doit être jugé sur ses résultats concrets. Voici les leviers de performance les plus fréquents observés dans les PME.
1. Réduction des coûts d’achats directs et indirects
La digitalisation met fin à la « petite cuisine interne » des achats non maîtrisés : commandes web personnelles remboursées, fournisseurs choisis par habitude, prix non renégociés, etc.
Avec une meilleure visibilité, vous pouvez :
- Identifier les volumes par famille d’achats (IT, fournitures, prestations, transport…)
- Regrouper les volumes sur moins de fournisseurs pour mieux négocier
- Repérer les écarts entre les prix négociés et les prix réellement facturés
- Éliminer les achats hors processus (dépenses sauvages)
Dans les faits, beaucoup de PME récupèrent facilement 3 à 8 % d’économies sur leurs principales catégories de dépenses, rien qu’en mettant de l’ordre et en respectant les conditions négociées.
2. Gains de temps et de productivité
Les tâches manuelles, répétitives, à faible valeur ajoutée sont un puits sans fond :
- Saisie des bons de commande dans Excel ou dans un ERP vieillissant
- Relances par mail pour approbation (« Tu as vu ma demande d’achat ? »)
- Rapprochements manuels commande / livraison / facture
- Recherches de documents pour l’audit ou le cabinet comptable
Un outil achat bien paramétré permet :
- Des circuits de validation automatiques selon des seuils et des rôles
- Un flux standardisé : demande → validation → commande → réception → facture
- Une saisie limitée (ou inexistante) grâce à des catalogues, modèles ou imports
- Une recherche immédiate de documents (par fournisseur, date, montant…)
Résultat : vos équipes admin et finance arrêtent de jouer à « Où est Charlie ? » avec les documents et se concentrent sur l’analyse, la négociation, la stratégie.
3. Amélioration de la trésorerie
Des achats mieux pilotés, ce sont aussi des flux de trésorerie plus prévisibles :
- Moins de factures surprises ou en retard
- Meilleure maîtrise des délais de paiement fournisseurs
- Possibilité d’anticiper des pics de décaissement
- Opportunité de négocier des conditions plus favorables en échange de la fiabilité
Un bon outil permet par exemple de simuler l’impact de certaines dépenses sur le prévisionnel de trésorerie, ou de prioriser les paiements selon les enjeux fournisseurs.
4. Réduction des risques
Le risque n’est pas réservé aux multinationales. Une PME peut être fortement exposée :
- À un fournisseur unique non sécurisé
- À une fraude à la facture (IBAN modifié, faux fournisseur, etc.)
- À des non-conformités réglementaires (achats sensibles, certifications manquantes)
La digitalisation renforce les contrôles :
- Traçabilité des validations (qui a approuvé quoi, quand et pour quel montant)
- Listes de fournisseurs approuvés et contrôlés
- Workflows imposant la séparation des tâches (demande, validation, paiement)
- Archivage conforme des documents
5. Meilleure relation avec les fournisseurs
Un processus clair et fiable, ça change tout dans la relation fournisseur :
- Des commandes propres, complètes, sans ambiguïté
- Des délais de paiement respectés (ou au moins anticipés…)
- Moins de litiges et de temps perdu au téléphone
- Une capacité à discuter sur la base de chiffres : volumes, historique, performance
Et un fournisseur qui sait qu’il est traité sérieusement sera plus enclin à :
- Négocier des tarifs préférentiels
- Prioriser vos livraisons en cas de tension
- Vous proposer des innovations produits ou services
Les étapes clés pour digitaliser les achats sans chambouler toute la PME
Passer du « tout manuel » à un processus digital n’a pas besoin d’être un big bang. Une approche graduelle fonctionne très bien pour les PME.
1. Cartographier l’existant
Avant de transformer, il faut comprendre :
- Qui achète quoi aujourd’hui (services, sites, profils)
- Quels sont les principaux fournisseurs et volumes
- Quels outils sont utilisés (Excel, ERP, mails, plateformes en ligne)
- Où se situent les frictions (retards, erreurs, litiges, pertes de temps)
Cette étape peut tenir en quelques ateliers internes et un export de vos données comptables. L’objectif n’est pas la perfection, mais une vision suffisamment claire de vos priorités.
2. Définir des règles simples et claires
Digitaliser le chaos ne fera que vous donner un chaos numérique. Il faut poser un minimum de règles :
- Qui a le droit de demander quoi ?
- À partir de quel montant une validation hiérarchique est-elle obligatoire ?
- Quelles familles d’achats sont « sensibles » (IT, juridique, marketing…) ?
- Quels sont les fournisseurs référencés pour les principales catégories ?
Pas besoin d’écrire un roman de procédures : une page claire vaut mieux qu’un PDF de 30 pages que personne ne lit.
3. Choisir un outil adapté à une PME
Le marché des logiciels achats est vaste, mais pour une PME, quelques critères font la différence :
- Simplicité d’usage pour les opérationnels (si c’est trop lourd, ils retrouveront très vite leurs mails…)
- Workflows de validation configurables
- Connexion possible avec votre logiciel comptable ou ERP
- Fonctionnalités de base : demandes d’achat, commandes, réception, factures, reporting
- Modèle économique adapté (abonnement raisonnable, facturation à l’usage ou par tranche de collaborateurs)
Un bon réflexe : impliquer à la fois la direction, la finance et quelques « gros consommateurs » internes lors des démonstrations.
4. Commencer par un périmètre pilote
Inutile de tout transformer en une fois. Choisissez :
- Une ou deux familles d’achats significatives (ex : marketing, IT, fournitures)
- Un site ou une équipe pilote motivée
- Un horizon court (3 à 6 mois) pour évaluer les résultats
Ce pilote permet de valider les workflows, d’ajuster les règles et de démontrer des gains rapides. Rien de tel qu’un manager qui dit « j’ai gagné 20 % de temps sur mes validations » pour embarquer ses collègues.
5. Accompagner le changement (vraiment)
Un logiciel d’achats, ce n’est pas une baguette magique. Si personne ne l’utilise ou si chacun le contourne, vous aurez juste ajouté une ligne de coût.
Il faut donc :
- Expliquer le « pourquoi » (économies, gain de temps, transparence)
- Former concrètement (courtes sessions, tutoriels vidéo, supports simples)
- Mettre en place quelques indicateurs de suivi (taux de demandes passées par l’outil, délais de validation, etc.)
- Écouter les retours des utilisateurs et ajuster (raccourcir un workflow trop lourd, clarifier une règle, etc.)
Les erreurs fréquentes à éviter
Certaines erreurs reviennent régulièrement dans les projets de digitalisation des achats en PME.
- Vouloir tout couvrir dès le départ : mieux vaut un périmètre limité mais maîtrisé plutôt qu’un déploiement global ingérable.
- Choisir un outil conçu pour les grands groupes : surdimensionné, trop complexe, trop cher… et donc très peu utilisé.
- Contourner systématiquement les workflows : si chaque cas est une « exception », le processus ne sert plus à rien.
- Oublier l’intégration avec la comptabilité : sans lien, vous recréez de la double saisie et des risques d’erreurs.
- Ne pas impliquer la direction : sans sponsor fort, le projet peut rapidement être relégué au rang de « gadget administratif ».
Un exemple concret : comment une PME peut gagner vite et bien
Imaginons une PME de 80 salariés dans les services, avec environ 8 M€ de chiffre d’affaires. Les principaux postes d’achats : prestations externes, IT, marketing, déplacements.
Situation de départ :
- Demandes d’achats par mail ou téléphone
- Commandes passées directement par les opérationnels
- Peu de négociation formalisée avec les fournisseurs
- Factures envoyées au siège, circulant physiquement pour signature
- Relances régulières des fournisseurs pour retard de paiement
Après 6 mois de digitalisation sur un périmètre pilote (IT + marketing + fournitures) :
- Toutes les demandes passent par un outil simple, avec des modèles pré-remplis
- Les fournisseurs principaux sont référencés, les prix sont intégrés dans des catalogues
- Les validations sont automatiques jusqu’à certains seuils, avec relances programmées
- Les factures sont rapprochées automatiquement des commandes existantes
- La compta récupère directement les informations structurées dans son logiciel
Résultats observés :
- Environ 5 % d’économies sur les dépenses IT et fournitures grâce au respect des tarifs négociés et à l’abandon d’achats « sauvages »
- Réduction de 50 % du temps passé par l’équipe administrative sur la gestion des bons de commande et des factures
- Diminution nette des litiges fournisseurs (références claires, validations tracées)
- Meilleure prévisibilité des dépenses sur 3 mois, utile pour le pilotage de la trésorerie
Et surtout, une prise de conscience en interne : les achats ne sont plus un « mal nécessaire », mais un levier de performance concrète.
Comment choisir ses priorités pour maximiser les économies
Pour une PME, la question n’est pas « faut-il digitaliser les achats ? » mais plutôt « par où commencer pour avoir un ROI rapide ? ».
Quelques pistes de priorisation :
- Cibler les gros postes de dépenses : une petite optimisation sur un gros volume rapporte plus que l’inverse.
- Viser les domaines où le hors-processus est élevé : IT, marketing, voyages sont souvent des candidats naturels.
- S’attaquer aux irritants internes : là où les équipes se plaignent le plus du temps perdu ou des incompréhensions.
- Prendre en compte la maturité des équipes : inutile de commencer par le domaine le plus politique si vos équipes ne sont pas encore acculturées.
Une règle simple : si un type d’achat cumule fort volume + beaucoup d’acteurs + peu de règles, il est probablement prioritaire.
Digitalisation des achats : un investissement qui se finance par lui-même
Pour la direction d’une PME, la question du coût revient toujours : « Ça va nous coûter combien, cette histoire ? ».
Réponse pragmatique : un projet bien mené se finance souvent en grande partie, voire totalement, grâce aux économies générées :
- Économies directes sur les prix et conditions
- Réduction des coûts cachés (temps de traitement, erreurs, litiges)
- Moins de risques financiers (fraude, pénalités, ruptures d’approvisionnement critiques)
Dans beaucoup de cas, l’abonnement à un logiciel d’achats représente une fraction minime du montant des dépenses pilotées. Réduire ces dépenses de quelques pourcents suffit largement à « rentabiliser » le projet.
Au fond, digitaliser les achats, c’est un peu comme passer du porte-monnaie en vrac à un compte bancaire bien tenu : au début, on se dit que l’on s’en sortait « très bien comme ça ». Puis, une fois qu’on a la vue d’ensemble, les alertes et les relevés clairs, on se demande surtout comment on a pu faire sans pendant si longtemps.
